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18-06-2025 Vol 19

UN ENTRETIEN AVEC LE COLONEL HOGARD:

Le Colonel Jacques Hogard, ancien officier parachutiste dans la légion étrangère, était commandant de groupement lors de l’opération Turquoise au Rwanda, en 1994, destinée à mettre fin au terrible génocide qui se déroulait dans ce pays de l’Afrique des grands lacs. Il nous a accordé très aimablement un entretien afin de nous éclairer sur les enjeux de la crise à l’époque et ses conséquences aujourd’hui. Il ne se considère pas comme un spécialiste, mais seulement comme un témoin qui prend du recul par rapport aux évènements. A ce titre, il est vice-président et porte-parole de l’association France-Turquoise, dont l’objet principal est le “rétablissement de la vérité sur l’action de l’armée française et des militaires français au Rwanda” suite aux allégations concernant ceux-ci durant le génocide au Rwanda.

De 1975, date de signature des accords de coopération bilatérale jusqu’en décembre 1993, la France a soutenu le pouvoir légal au Rwanda. Au début des années 90, elle a aidé militairement le régime hutu en place à Kigali à contenir une tentative militaire de renversement conduite par la rébellion issue de la minorité tutsi soutenue par l’Ouganda. Mais, le 6 avril 1994, l’assassinat du président en place, Juvénal Habyarimana, déclencha le génocide des Tutsi et des Hutu modérés par les extrémistes hutus. La France a alors lancé non sans mal, avec l’aval tardif de l’ONU, l’opération Turquoise pour mettre fin au génocide. Cette opération, destinée à pallier l’insuffisance de la force onusienne la MINUAR ultérieurement relayée par la MINUAR 2, lui est aujourd’hui encore reprochée, non seulement par le régime du président Kagamé, mais aussi par une partie de l’opinion internationale.

Les faits étant ce qu’ils sont, force est de constater, selon le Colonel Hogard, que la France a aujourd’hui perdu l’influence qui était la sienne dans la région des Grands Lacs. Son principal tort est au fond de s’être trouvé du côté des vaincus dans la lutte pour le pouvoir entre Hutus et Tutsis à Kigali. Son soutien politique et militaire (qui ne fut pas sans contrepartie, faut-il le rappeler, car la France impose l’ouverture démocratique dès 1992 au président Habyarimana) au régime hutu renversé d’une part et l’opération Turquoise d’autre part qui, quoique tardive du fait de l’indécision de la communauté internationale et tout en protégeant les rescapés tutsi du génocide, a permis à de nombreux hutus de fuir d’éventuelles représailles, lui ont été et lui sont encore vivement reprochés.

Pourquoi un tel acharnement contre la France ?

Cet acharnement tient au fait que le président Kagamé est arrivé au pouvoir « contre » la France, avec le soutien de l’Ouganda lui-même soutenu par le Royaume Uni et surtout par les Etats-Unis, et alors qui lui est imputée la responsabilité de l’attentat contre son prédécesseur. Cette responsabilité dans l’attentat déclencheur du génocide lui est reconnue non seulement par le juge français anti-terroriste Jean-Louis Bruguière mais auparavant déjà par le rapporteur du TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda), l’Australien Michael Hourigan.

Ce faisant, Kagamé et son régime ne cesse d’entretenir un sentiment de culpabilité à l’encontre de la France, sans doute pour mieux faire oublier la sienne. La rupture des relations diplomatiques entre les deux pays après l’émission par le juge Bruguière de mandats d’arrêts internationaux contre neuf proches de Kagamé pour leur implication dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, confirme cette impression en même temps qu’elle a pour effet d’exclure un peu plus Paris, au-delà des frontières stricto sensu du Rwanda, d’une zone géographique connue pour la richesse de son sous-sol. Au-delà de la question d’une relation bilatérale tourmentée, se pose en effet celle de la perte d’influence française en Afrique centrale et orientale face au monde anglo-saxon. Ce dernier ne peut que soutenir le président Kagamé, ex-officier supérieur de l’armée ougandaise, anglophone et non francophone comme ses prédécesseurs, ancien élève de l’école de guerre américaine de Fort-Leavenworth, et garant du maintien de l’influence américaine dans cette zone géographique stratégique et sensible.

La crise rwandaise a eu une seconde conséquence pour la France puisqu’elle a sonné le glas des interventions militaires franco-françaises en Afrique. Le coût politique de Turquoise a été tel, que Paris n’intervient plus sur le continent africain que dans le cadre de forces multinationales sous mandat de l’ONU et malgré le maintien d’accords de défense bilatéraux datant des années 60.
De ce point de vue, on peut considérer que la crise rwandaise a été synonyme d’une perte de l’influence sous son aspect traditionnel de la France en Afrique. A une relation dominée par ses aspects politico-militaires devrait se substituer aujourd’hui une relation de « soft-power » permettant de développer une stratégie d’influence indirecte dans laquelle les acteurs institutionnels seront moins visibles à condition toutefois de redonner une cohérence à la politique africaine de la France. L’expérience montre en effet que deux écueils sont à éviter : les luttes d’influence dommageables entre la France officielle et une France officieuse (celle des conseillers privés de certains régimes africains par exemple) et une neutralité difficile à gérer compte tenu d’engagements antérieurs et d’accords de défense qui perdurent (exemple ivoirien).
Nous remercions le Colonel Hogard pour son témoignage d’homme engagé dans l’action et réfléchi.

François Pichot-Duclos et François Gonnet

The Truth can be buried and stomped into the ground where none can see, yet eventually it will, like a seed, break through the surface once again far more potent than ever, and nothing can stop it. Truth can be suppressed for a “time”, yet it cannot be destroyed. ==> Wolverine
The Truth can be buried and stomped into the ground where none can see, yet eventually it will, like a seed, break through the surface once again far more potent than ever, and Nothing can stop it. Truth can be suppressed for a time, yet It cannot be destroyed => Wolverine

Malcom

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