
Président honoraire de SIMA-KIVU, Bruxelles
Bonjour. Je suis Emmanuel Murhula A. Nashi, ancien étudiant (de la même promotion que Moro Mwamba, qu’il repose en paix !), ancien assistant à l’ISTI, et ancien journaliste à « Temps Nouveaux », « Grognon » et « Jua » entre 1990 et 1992. Actuellement, je vis en Belgique et enseigne des cours de communication aux universités de Namur (FUNDP) et de Mons (FUCAM), ainsi qu’à l’ISFSC (Institut supérieur de formation sociale et de communication) à Bruxelles.
Ce n’est pas en ma qualité de professeur que je vous écris, mais en celle de congolais, et ce pour deux motifs, liés à la l’article « Une polémique congolaise : Le Potentiel vs Pole Institute ». Mon but n’est pas d’alimenter ladite polémique créée par la réaction de Mme Christiane Kayser, et les commentaires suscités dans l’opinion congolaise. Je suis persuadé que la présente contribution éclairera les lecteurs du Potentiel, car, ayant assumé de 1993 à 1997 la présidence de l’asbl SIMA-KIVU (Soutien aux initiatives des mouvements actifs au Kivu), basée à Bruxelles, je détiens des informations sur la fameuse conférence de Bonn de 1997 dont il est question dans le droit de réponse de Pole Institute.
Bien plus, je connais personnellement Aloys Tegera, l’un de ses responsables, pour avoir fait en même temps que lui mes études de philosophie au Grand séminaire des Pères-Blancs à Bukavu, entre 1981 et 1983.
Avant tout, laissez-moi vous féliciter très sincèrement pour la pertinence de votre article. Si « Pole Institute » a réagi avec tant de passion, c’est précisément parce que vous avez mis le doigt sur des questions légitimes que doivent se poser non seulement l’opinion congolaise, mais aussi les dirigeants. Votre noble devoir a été rempli en toute indépendance, et pour cela, vous forcez le respect. Je tiens à dire sans détour que vous avez informé correctement en écrivant que Pole Institute est un « think thank de la balkanisation du Congo ». Laissez-moi vous le montrer dans le témoignage qui suit.
Je m’en tiendrai à deux points, qui concernent uniquement les enjeux liés aux activités de cette organisation au Congo. Premièrement : il faut savoir que lors de cette rencontre de Bonn, le prétexte était effectivement de réunir des représentants de la société civile du Kivu, y compris ceux de la diaspora, soi-disant pour « créer un cadre de réflexion et d’échanges pour promouvoir les valeurs positives communes aux peuples » des pays des Grands lacs .
En mars 1997, notre association était représentée à cette conférence par deux personnes qui occupent aujourd’hui de hauts postes de responsabilité au Congo
[1] . Je peux donc révéler au public que Pole Institute a commis un oubli volontaire parmi les participants à cette rencontre : quelques hommes politiques allemands.Or, il s’avère que durant cette conférence, nos deux délégués furent approchés en coulisses par ces derniers qui leur proposèrent le deal suivant :
« Etant donné que Kinshasa est très éloigné des préoccupations du Kivu, vous avez intérêt à vous tourner vers l’est de l’Afrique. En votre qualité de leaders de la société civile kivutienne, vous pouvez convaincre votre population de son intérêt d’une alliance avec le Rwanda. Par ailleurs, l’Allemagne et l’Union Européenne disposent d’un projet de plan Marshall pour le développement du Kivu à conditions que vous acceptiez de vous détacher du Congo et de vous rattacher au Rwanda » .
Bien entendu, ces messieurs reçurent une fin de non recevoir de la part de nos représentants. Pour notre part, nous avions compris définitivement les motifs réels de cette conférence pilotée par Christiane Kayser et l’EZE (église protestante allemande) : la balkanisation de la République démocratique du Congo.
Par ailleurs, la revue « Regards croisés » publié par Pole Institute en 1997 m’avait interpellé personnellement, car je réalisais qu’elle constituait une arme intellectuelle du combat de Mme Kayser, Aloys Tegera, Lindiro Labirigi.
A l’époque, j’avais envoyé un article destiné à croiser le regard avec celui de Tegera Aloys intitulé « La guerre en République démocratique du Congo : implosion et chaos ou douleurs d’enfantement d’un ordre nouveau ». Hélas, « Regards croisés » n’a jamais voulu publier mon article
[2] . Ni Christiane Kayser, ni Aloys Tegera ne m’ont jamais fourni les raisons de ce refus, mais on peut les deviner aisément. En effet, Tegera défendait la thèse selon laquelle « les causes de la guerre d’août 1998 du Congo se trouvaient dans « l’idéologie ethnico-raciale », et accordait aux Tutsis un statut spécial de victimes face aux autres ethnies congolaises.En fait, j’ai toujours peiné à comprendre les raisons profondes qui ont poussé un prêtre, le Père Aloys Tegera, à choisir le même combat que l’émule d’Adolf Hitler [3] , consistant à diviser les peuples africains.
Pole Institute a beau nier son rôle de « pourvoyeur d’idées de la balkanisation du Congo » au profit du Rwanda – ç’eût été étonnant qu’il l’avouât d’ailleurs -, c’est bel et bien l’objectif poursuivi derrière ses activités au Congo.
[2] Celui-ci fut publié finalement dans la revue « L’Africain », n° 189-190, Bruxelles, 1999, sous le titre : « La guerre en R.D. du Congo : collusion entre pouvoir, ethnie et dictatures militaires ».
[3] J’ai cité le président ougandais Yoweri Museveni, qui déclara aux juristes de l’Afrique de l’est réunis en juillet 1997 : « Comme Hitler l’a fait pour rassembler les Allemands, nous devrions aussi le faire ici. Hitler était un gars attachant et très intelligent » !
[4] Voir mon ouvrage : « Pourquoi ont-ils tué Laurent-Désiré Kabila ? », L’Harmattan, Paris, 2007.