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05-09-2025 Vol 19

Gacaca : l’injustice continue au Rwanda

Gacaca : l’injustice continue au Rwanda

Institution traditionnelle rwandaise visant la réconciliation, le gacaca a été présenté comme moyen pour accélérer l’examen des dossiers des personnes accusées de génocide qui se trouvaient par dizaine de milliers en prison depuis 1994. Grâce au soutien économique de la Communauté internationale, la juridiction gacaca est entrée en fonction le 15 janvier 2005 et a largement semé dans le pays peur et injustice. Voici un témoignage direct et actuel.

Gacaca prolongé
En principe le gacaca aurait dû se terminer en 2007, mais la liste des gens à juger est encore longue, c’est pourquoi les autorités ont prolongé son activité jusqu’à cette année 2008, pour les provinces où la liste des procès n’est pas terminée. A ces endroits, c’est même pire qu’auparavant : on est pressé, on n’a pas le temps d’écouter les témoins à faveur. Jusqu’à présent, le jour du gacaca, tout est fermé, sauf les hôpitaux et les écoles, et la population est obligée d’y assister. Pendant le procès il est interdit de rire (parfois on en a envie, un rire de déception), d’applaudir, de montrer un sentiment quelconque : les local defense qui surveillent interviennent et bousculent les gens, jusqu’à les frapper.
Actuellement il y a deux aspects qui prennent plus d’importance et nous font peur: le viol et l’idéologie génocidaire. Une femme peut venir déclarer au gacaca : « Pendant le génocide, tel m’a violée ». Ce sont des femmes souvent manipulées par Ibuka[1]. Leur accusation provoque l’immédiate arrestation de l’accusé. Par la suite, Ibuka cherche de témoins à charge, qui provoqueront une condamnation à vingt-cinq ans de prison. Dans le cas d’un viol récent, c’est l’hôpital qui donne son avis. Il est vrai, des viols se sont passés, mais maintenant c’est devenu une accusation facile pour se défaire de certaines personnes.
Quant à l’idéologie génocidaire, les parents sont accusés de l’enseigner à leurs enfants. Or, c’est le système scolaire d’aide aux enfants des rescapés qui fausse tout : on leur paie les taxes scolaires, l’uniforme, le matériel scolaire ; on leur donne la priorité dans l’accueil aux internats. Mon enfant m’a dit de ne pas lui acheter l’uniforme, il l’achètera bas prix à l’école auprès des camarades qui la reçoivent gratuitement de la part du FARG (Fond pour les rescapés du génocide). A l’école, Ibuka fait des réunions pour les seuls enfants des rescapés. Parmi eux certains ne sont pas sérieux à l’école, parce qu’ils disent qu’ils ne payent rien. Et malheur au professeur qui ose les corriger. Tout récemment un professeur a été condamné à cinq ans de prison et au dédommagement de 500.000 francs rwandais[2], parce qu’il a osé exhorter un enfant de rescapé indiscipliné à s’engager et à songer à son avenir.
Une fille rescapée s’entendait bien avec d’autres filles de l’internat, en particulier avec deux sœurs. Lorsque la maman de ces dernières venait leur rendre visite, elles partageaient avec leur copine la pommade et tout ce qu’elle leur amenait. Le père de ces deux filles était en prison, et un jour l’aînée alla lui rendre visite. En rentrant, elle dit à la cadette que son père la saluait et qu’il ne prévoyait pas que les hommes puissent le libérer, Dieu seul pouvait le faire. La fillette se mit à pleurer. En voyant cela, la fille rescapée, leur amie, courut dire qu’on était en train de l’insulter. La fillette a été chassée de l’école.
Maintenant les députés descendent dans les écoles secondaires, soi-disant pour prêcher la réconciliation, mais ils expliquent le histoire du pays d’une façon déformée et les parents craignent qu’ils prêchent la haine. A mon petit enfant à l’école on dit d’éviter l’idéologie génocidaire. « Est-ce que j’ai l’idéologie génocidaire ? », m’a-t-il demandé. On est en train d’intoxiquer la nouvelle génération. A l’université, c’est grave aussi : dans les campus, ce sont les rescapés qui ont la priorité. Une fille de ma parenté a été renvoyé de campus, soi-disant qu’il n’y avait pas de place, et sa place a été occupée par une étudiante rescapée. Ce sont des choses qui blessent les jeunes.

Le gacaca de remboursement du dégât et pillage
On dit qu’il y a des provinces où les gacaca ont déjà terminé leurs listes : on se tourne alors vers les biens. On cherche à arracher aux gens les biens qu’ils ont : si un hutu a une vache, on lui dit qu’il l’avait volée pendant le génocide. Si un rescapé dit qu’avant les massacres il avait dix vaches et une maison, on part à la recherche de ceux qui ont mangé ses vaches et abîmé sa maison. Bien sûr, il y a eu des pillages et des vols, et ceux qui les ont commis ont payé juste après la guerre. A ce moment-là, c’était terrible : on frappait les gens, même si tu n’avais rien volé, il te fallait payer.
Maintenant, il suffit que le rescapé désigne celui qui lui aurait volé un bien pendant le génocide, et cette personne est mise sous procès. Souvent on cherche de faux témoins pour qu’elle cède ce bien ; par peur, personne n’ose contredire l’accusateur, seul l’accusé essaie de se défendre.
Une personne de ma connaissance avait régulièrement acheté un champs dans les années ’80. L’ancien propriétaire, malheureusement, fut tué pendant le génocide. La commission d’enquête sur les biens instituée après les massacres avait reconnu que le champs appartenait à celui qui l’avait acheté auparavant. Maintenant, des gens sont allés suggérer à un membre de famille de cet homme de prétendre le champs. C’est ainsi qu’on a appelé en jugement le propriétaire du champ.

Ibuka toujours à la recherche
Ibuka est une organisation à différents niveaux : elle a des représentants au niveau national, provincial… jusqu’à la plus petite entité, la cellule. Le niveau le plus bas est chargé d’identifier les intellectuels hutu du milieu qu’on peut accuser. Il en transmet la liste à l’échelon suivant, jusqu’à ce qu’elle parvient au niveau supérieur : là on décide comment procéder et on donne l’ordre aux comités de juges qui dirigent les gacaca de condamner certaines personnes[3]. Jusqu’à présent, dans un quartier on peut trouver deux jeunes hutu qui ont terminé l’Université, qui n’ont de problèmes avec personne, mais les gens d’Ibuka les regardent : « Celui-là, pourquoi vit-il en de bonnes conditions ? ». Ils peuvent venir poser des questions, provoquer, pour dire enfin : « Vous avez échappé d’être mis sur la liste des accusés, mais maintenant c’est votre tour».
Avant que le procès gacaca n’ait lieu, Ibuka prépare les gens qui y assisteront pour qu’ils accusent l’inculpé. Quand celui-ci commence à parler pour se défendre, les juges et des personnes présentes à la séance l’interrompent en posant beaucoup de questions souvent insensées. Avant même qu’il commence à répondre à l’une, ou à peine a-t-il commencé à parler, un autre intervient pour lui en poser une autre. Découragé et énervé, l’accusé se taît, et les juges partent délibérer.
Le premier jugement se fait à niveau de secteur, où il y a aussi une deuxième chambre, d’appel. Si après cet appel on n’est pas satisfait, on peut recourir à la suprême responsable de Gacaca, qui peut donner l’autorisation de représenter appel – le dernier – dans un autre secteur

La peur continue
La peur dans la population hutu, majoritaire dans le pays, continue : nous avons peur du pouvoir, parce que le pouvoir n’a pas de pitié. Lorsque les gens se rencontrent, ils se disent discrètement : « Faites attention, ne dites pas…, ne faites pas… ». La population garde l’espoir qu’un jour la paix reviendra, mais chaque fois que les puissances du monde félicitent le pouvoir rwandais, elle sent cette paix plus lointaine. Nous espérons qu’un jour la Communauté internationale connaîtra à fond le problème du Rwanda. Peut-être faudrait-il un pouvoir neutre qui donne la liberté aux deux ethnies. Nous espérons qu’on enlèvera l’idée que tout hutu est méchant : tous n’ont pas tué, il y a des tutsi aussi qui ont tué ! Pendant la guerre commencée en 1990 et le génocide de 1994, d’un côté et de l’autre il y a eu des morts ; FPR et MRND se battaient pour le pouvoir.
Si les autorités n’incitaient pas à la haine, nous la population serions déjà retournés à la situation d’auparavant, lorsqu’on se mariait sans problème entre différentes ethnies. Maintenant les autorités disent aux tutsi : « Ce sont vos ennemis, il ne faut pas les marier ». L’Etat avait souhaité que chaque enfant orphelin puisse quitter l’internat et aie une famille : c’est ainsi que beaucoup de familles, tutsi et hutu, ont accueilli des orphelins, en provenance de l’orphelinat ou de familles victimes de la guerre.
Grâce aux aides reçus, on a maintenant dans le pays beaucoup plus d’écoles. Quand il y a des calamités, le gouvernement intervient rapidement ; par exemple, à l’occasion du récent tremblement de terre, l’Etat a mobilisé le personnel médical, a transporté par hélicoptère les blessés plus graves à Kigali, a fourni des soins gratuits aux sinistrés. En général, toutefois, les aides enrichissent les autorités, plutôt que secourir les pauvres. Les Eglises se taisent par peur : car si vous osez dire que tel chose n’est pas bonne, on vous accusera de développer l’idéologie génocidaire, de lutter contre le programme du gouvernement.

Fait dans la Région des Grands Lacs, le 25 mars 2008. Habineza
[1] Association des rescapés. Sont appelés « rescapés » les survivants Tutsi du génocide.
[2] Environ 1000 dollars américains.
[3] Ibuka a fait cela au départ des gacaca : elle faisait récolter les informations, a composé les listes des personnes à accuser et a ordonné aux juges de libérer tel, d’emprisonner tel autre.

The Truth can be buried and stomped into the ground where none can see, yet eventually it will, like a seed, break through the surface once again far more potent than ever, and Nothing can stop it. Truth can be suppressed for a time, yet It cannot be destroyed => Wolverine

Malcom

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