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11-06-2025 Vol 19

Les massacres du Rwanda 20 plus tard. À la recherche de la vérité.

Mondialisation.ca, 18 avril 2014

L’auteur est avocat et fonctionnaire de l’ONU, André Sirois a
notamment contribué à mettre sur pied le Tribunal international pour le
Rwanda de 1995 à 1997.



rwanda victimesL’anniversaire des massacres du Rwanda devrait être enfin l’occasion
de revoir la version des faits partisane et mensongère que, bien souvent
pour des raisons inavouables, l’on tente de nous imposer depuis 20 ans.
J’ai participé à la mise sur pied du Tribunal international pour le
Rwanda de 1995 à 1997 et depuis, je suis étonné de voir la facilité avec
laquelle est acceptée une version qui devrait être critiquée très
sévèrement.
Il est impossible d’entreprendre de corriger ou de
questionner ici toute la masse d’informations fausses que l’on nous
assène ainsi. Je voudrais cependant indiquer quelques questions de fond
que l’on devrait se poser à la lecture d’un texte au sujet des massacres
du Rwanda.
Combien y a-t-il eu véritablement de victimes? 800 000 ou un million?
Si l’auteur utilise un de ces chiffres, il faut s’inquiéter tout de
suite : cela veut dire qu’il n’a fait que reprendre n’importe quoi sans
rien vérifier ni critiquer. On ne connaît pas le nombre de victimes;
personne n’a jamais pu l’établir. Depuis 20 ans, à tous ceux qui me
mentionnent un chiffre à ce sujet, je demande méthodiquement d’où ils le
tiennent. Il est impossible d’avoir une réponse.

La seule explication qui semble assez près de la réalité, c’est que,
pendant les massacres, un employé de la Croix-Rouge internationale a
fait un calcul approximatif des personnes disparues de son
agglomération, Hutus et Tutsis confondus, puis il a fait une
extrapolation pour l’ensemble du pays qui l’a amené à dire qu’il
pourrait y avoir eu à ce moment-là environ 200 000 morts au Rwanda.
Quelques jours plus tard, le ministre des Affaires étrangères
d’Allemagne affirmait qu’il y en avait 500 000. Personne n’a jamais pu
savoir d’où il tenait ce chiffre. Puis, des ONG américaines –pour amener
le gouvernement américain à parler de génocide, ce qui, en droit
américain, l’aurait obligé à intervenir– ont commencé à affirmer qu’il y
avait un million, non pas de disparus de toutes origines, mais un
million de victimes tutsies.

En arrivant à Kigali un peu plus tard, je me suis mis à demander d’où
venait ce chiffre; personne n’a jamais pu me répondre et beaucoup
voyaient dans ma question un manque de respect pour les victimes et une
expression de sympathie envers les génocidaires.
Je considérais, et je considère encore, que dans cette affaire, la
vérité est déjà assez monstrueuse et terrible –une seule innocente
victime est une victime de trop– et je craignais qu’en répétant
n’importe quoi le Tribunal mette en jeu sa crédibilité.

On a fini par démontrer qu’il était absolument impossible qu’il y ait
eu un million de victimes tutsies et on s’est alors rabattu sur le
chiffre tout aussi fictif de 800 000. Rappelons que les experts estiment
que la population du Rwanda était de 6 à 7,5 millions de personnes; les
Tutsis constituaient de 10 à 15% de ce nombre, c’est-à-dire qu’ils
étaient de 600 000 à 1 125 000 personnes.
C’est clair qu’il ne peut y avoir eu un million de victimes et
probablement pas 800 000 non plus si on tient compte des survivants au
Rwanda et à l’étranger ainsi que des morts naturelles et accidentelles.
Donc, prudence si votre interlocuteur utilise ce chiffre fictif, voire
fantaisiste.

Autre question : pourquoi le Tribunal international pour le Rwanda
n’a-t-il jamais enquêté sur l’attentat commis contre l’avion
présidentiel qui a déclenché les massacres que l’on connaît? C’était
bien à l’intérieur de son mandat pourtant. Pourquoi ne l’a-t-il pas
fait?
Ou plus exactement, pourquoi, après avoir finalement demandé à
l’enquêteur Michael Hourigan de faire cette enquête, la Procureure du
Tribunal, Louise Arbour, a-t-elle enterré son rapport et a-t-elle mis
fin à l’enquête? Pourquoi enquêter sur tous les massacres du Rwanda et
refuser des rechercher les responsables de l’attentat qui en est la
cause? C’est tout à l’honneur de la France d’avoir tenté de le faire.
Pourquoi le Tribunal n’a-t-il jamais fait de véritable enquête sur
les atrocités commises par les Tutsis ougandais, le Front patriotique
rwandais (FPR)? Poser la question, c’est y répondre.
Dès mon arrivée au Rwanda, voyant l’ingérence ouverte du FPR et de
certaines ONG américaines dans le travail d’enquête et de mise en
accusation du Tribunal, j’en suis venu à la conclusion –et je l’ai
annoncée–que dès que nous commencerions à enquêter sur les atrocités du
FPR, nous serions chanceux si on nous permettait de nous rendre à
l’aéroport pour quitter le pays.
Or quand Carla del Ponte a voulu entreprendre ce type d’enquêtes,
elle a été contrainte de venir à Kigali présenter des excuses à Kagamé,
et elle a finalement perdu son poste de Procureure du Tribunal.
S’agissant des deux questions qui précèdent, il faut bien garder à
l’esprit que le gouvernement rwandais s’est opposé vivement et très
officiellement à la création du Tribunal par les Nations Unies.
Qu’avait-il à craindre de la création d’un tel tribunal? N’était-ce pas
ce que la communauté internationale pouvait faire de mieux pour les
victimes et les familles de victimes? De même, et il s’est toujours
opposé aussi à toute enquête sur l’écrasement de l’avion présidentiel.

Pourquoi, s’il n’a rien à se reprocher, et si, comme il le dit, les
responsables sont des hutus? L’écrasement de l’avion présidentiel et les
atrocités du FPR constituent deux sujets d’enquête légitimes,
intéressants, essentiels même pour établir l’entière vérité sur ce qui
s’est passé alors.
Le gouvernement rwandais de Kagamé a préféré entreprendre une
campagne de culpabilisation de la communauté internationale, qui lui est
beaucoup plus profitable financièrement : qui peut expliquer en quoi
juridiquement la communauté internationale aurait le devoir de payer
pour des crimes commis par des Rwandais – et des Tutsis ougandais –
contre des Rwandais?

Il faut bien voir que dans ces décisions diplomatiques et dans ces
procès médiatisés, les victimes et les familles de victimes comptent
très peu ou pas du tout. Je l’ai dit à des familles de victimes avant de
quitter le Rwanda (j’étais l’un des seuls employés du Tribunal à avoir
des contacts directs et soutenus avec les familles de victimes): comme
personne ne peut ressusciter les victimes, ni établir la vérité ou punir
les vrais coupables, les familles des victimes auraient dû demander
l’abolition du Tribunal qui n’était qu’un tremplin pour carriéristes et
qu’un écran de fumée masquant d’inavouables intrigues de politique
internationale.
Même les accusés comptaient très peu dans ce spectacle. On en a eu
une belle preuve avec le bourgmestre de Taba Jean-Paul Akayesu. Il a eu
la malchance d’être le premier accusé à passer devant le Tribunal, alors
que depuis déjà trop longtemps, les États membres de l’ONU, après y
avoir englouti plus de 350 millions de dollars selon certains,
demandaient des résultats. Or pour un Tribunal, des résultats, c’est des
procès et, de préférence, au moins une condamnation.

Plus on avançait dans le temps, plus on investissait, moins la
présomption d’innocence avait d’importance. Le malheureux Akayesu a été
condamné à l’emprisonnement à vie sur la foi de déclarations de témoins
« instantanés » qui sont apparus trois ans et demi après les faits, et
ce, après que l’enquête à Taba – à laquelle j’ai participé – eut permis
de voir que les témoins présentés comme témoins à charge se
contredisaient, n’avaient rien à dire ou même le défendaient.
J’ajouterai que lorsque j’étais au Tribunal, nous savions que pour
25 $, n’importe qui pouvait s’offrir une brigade de six faux témoins qui
viendraient raconter n’importe quoi aux enquêteurs et peut-être même
aux juges. Très utile pour qui veut se débarrasser d’un rival ou d’un
concurrent.

À qui profite le crime? Dans cette affaire, il profite à des Tutsis
de l’Ouganda qui, trois ou quatre générations plus tard, « reviennent »
au Rwanda en libérateurs, en envahisseurs ou en occupants. Cela pose de
graves questions de droit international.
C’est comme si, en 1945, au moment de la Libération, les soldats
canadiens-français, se prévalant de leurs origines et du fait qu’ils
libéraient la France, avaient proclamé qu’ils « revenaient » dans ce
pays et y avaient imposé leur administration.
La question se pose alors pour les Rwandais comme pour nous tous de
savoir quels sont les droits d’une armée d’étrangers qui vient
« libérer » un pays, ou sauver une minorité à l’intérieur d’un pays, et
qu’elle en prend le contrôle? Cette armée a-t-elle le droit de prendre
le pouvoir et de s’y installer indéfiniment? Sinon, pendant combien de
temps?

Quelques exemples viennent à l’esprit: la question s’est posée aux
Américains et aux Alliés lors de la libération de la France, comme le
confirment des documents rendus publics récemment. Étaient-ils une armée
de conquérants ou une armée de libérateurs? Ils ont choisi d’être des
libérateurs puis sont rentrés chez eux.
Le même problème s’est posé aux Vietnamiens lorsqu’ils sont allés
délivrer les Cambodgiens des Khmers rouges. Ils sont ensuite retournés
dans leur pays.
À Kigali, après 20 ans d’occupation, les « libérateurs » ougandais
eux ne parlent pas de rentrer dans leur pays et personne ne se risque à
leur poser la question. Outre les victimes des massacres de 1994, il y a
aussi les victimes actuelles : les Tutsis et les Hutus du Rwanda qui
n’ont plus un mot à dire chez eux parce que s’ils parlent, on les
accusera d’avoir survécu par complicité avec les génocidaires.
L’autre victime, c’est aussi la démocratie, la vraie. Comme les Hutus
représentent 85 % de la population du Rwanda, ils pourraient facilement
s’élire un gouvernement, ce que les politiques tutsis ougandais ne
sauraient tolérer.

Rappelons qu’un ancien président du Burundi, qui avait à peu près la
même composition démographique que le Rwanda, n’hésitait pas à dire peu
avant les massacres du Rwanda que le Burundi devait se débarrasser de
« l’excédent de Hutus » (soit 70% de la population du Burundi).
Une autre question et pas la moindre : pourquoi continue-t-on de
répéter avec insistance la thèse du génocide « programmé » et
« planifié » par des « extrémistes » hutus qui fonde la soi-disant
légitimité du régime du général Kagamé alors que tous les jugements du
Tribunal international, sauf un, en première instance comme en appel,
ont établi que cette thèse n’avait aucun fondement?
Sans parler des questions concernant l’assassinat de plusieurs
critiques et adversaires de Kagamé et concernant toute l’administration
du système de justice expéditive des gacacas qui, dans bien des cas,
n’ont de justice que le nom.

Il s’agit là de quelques questions fondamentales qui sont ignorées,
voire escamotées, par la légende officielle et qui demeurent sans
réponse.

Il y a eu au Rwanda de terribles massacres et il y a eu un très grand
nombre de victimes d’horreurs indescriptibles. Et justement le simple
respect dû à ces victimes nous impose le devoir de chercher la vérité,
toute la vérité, de trouver les responsables et de ne pas dire n’importe
quoi ni permettre que ces victimes soient instrumentalisées au profit
de quelques-uns.

The Truth can be buried and stomped into the ground where none can see, yet eventually it will, like a seed, break through the surface once again far more potent than ever, and Nothing can stop it. Truth can be suppressed for a “time”, yet It cannot be destroyed. ==> Wolverine

The Truth can be buried and stomped into the ground where none can see, yet eventually it will, like a seed, break through the surface once again far more potent than ever, and Nothing can stop it. Truth can be suppressed for a time, yet It cannot be destroyed => Wolverine

Malcom

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